La"neutralité" journalistique est un bobard !
Article rédigé le 28 octobre 2021 par Samuel Piquet pour le site ELUCID
Corréler journalisme de qualité et propension à être « neutre » ou « objectif » est assez fréquent. Mais cela devient préoccupant lorsque cette prétention à la neutralité est revendiquée par les journalistes eux-mêmes.
« L’information de franceinfo est le reflet d’une couverture exacte, équilibrée, complète et impartiale de l’actualité », écrit le média dans sa charte. « Le P’tit Libé est un hebdomadaire d’actualité libre et neutre. Il s’engage à fournir une information vérifiée et équilibrée, sans parti pris » annonce sur son site la version jeunesse du quotidien ». On s’étonne que de telles affirmations ne surprennent pas davantage. Étymologiquement, informer signifie « doter d’une forme ». Par définition, il n’existe donc pas d’information « informe », c’est-à-dire sans forme, non façonnée, brute.
Dans son ouvrage La langue des médias, l’essayiste Ingrid Riocreux rappelle que « l’information ne préexiste pas à sa mise en mots ; le métier du journaliste, c’est précisément de « produire de l’information (…) l’information, ce n’est pas ce qui s’est passé, mais la communication de ce qui s’est passé ». La façon de présenter l’information, ne serait-ce que dans le titre, traduit déjà un parti pris, plus ou moins tranché et visible selon l’évènement qu’on raconte, certes, mais pas moins réel. « Y a-t-il une histoire impartiale ? » s’interrogeait rhétoriquement Anatole France dans Le jardin d’Épicure.
On peut faire l’effort de présenter des faits de façon neutre au sens étymologique du terme -« du latin « neuter », « aucun des deux », « ni l’un ni l’autre »- au sens où l’on va présenter différentes versions grâce à plusieurs témoins d’un même événement. Mais l’idée qu’on pourrait s’effacer totalement au profit des choses que l’on rapporte est une chimère. France Info se contredit d’ailleurs puisque dans sa charte le média indique également dans le paragraphe « Le cas particulier du terrorisme » : « Le respect à l’égard des victimes doit primer sur le devoir d’informer ». Voilà un parti pris, quel que soit ce qu’on en pense par ailleurs.
Le journal Libération semble lui aussi contrevenir à sa promesse initiale lorsqu’il précise « Libération prend chaque jour le parti des citoyens et de leurs droits contre toutes les formes d’injustice et de discrimination, individuelles ou collectives ». N’est-ce pas là également un choix tout sauf neutre qui met au jour le dilemme du journaliste de notre époque entre dire le bien et dire le vrai ? La charte de l’Obs est en ce sens moins naïve puisqu’elle annonce sa coloration idéologique, le magazine se présentant comme « un hebdomadaire culturel et politique dont l’orientation s’inscrit dans la mouvance sociale-démocrate ».
Dans Langage et idéologie, le philosophe Olivier Reboul explique à quel point le langage lui-même trahit ce qu’il appelle notre « sous-code idéologique » : « l’individu n’est pas libre d’utiliser sa langue pour dire ce qu’il veut et comme il veut ; il est conditionné à préférer tel terme, telle tournure, telle signification, et à en éliminer d’autres ». Mais ce n’est pas tout, le silence lui-même peut traduire des choix forts qui sont la conséquence de notre mode de pensée.
Cela n’a pas empêché le journal Le Monde, lors de la création du Decodex, de classer en trois couleurs (vert, orange, rouge) les médias en fonction de leur fiabilité, nous avertissant parfois pour les sites non classés en vert que l’information pouvait être « orientée ». Bigre ! Voilà un journalisme à fuir de toute urgence si l’on veut conserver sa neutralité ! Léa Salamé n’aspirait pas à autre chose lorsqu’elle s’apprêtait à remplacer Natacha Polony dans « On n’est pas couché » en 2014. Elle avait alors déclaré au journal Métro : « Contrairement à mes prédécesseurs, j’ai une approche pragmatique des choses. Je ne suis pas une idéologue ». Ne pas donner son opinion suffirait-il à faire preuve de neutralité ?
« On ne peut jamais être neutre. Le silence est une opinion » déclarait le peintre Henry Moret. Il ne croyait pas si bien dire. Les informations passées sous silence en disent parfois beaucoup plus long sur ceux qui choisissent de ne pas en parler que les plus bruyants des articles. On a pu s’en rendre compte au moment de l’affaire Mila.
On le voit aussi régulièrement lorsque des médias préfèrent traiter certains évènements uniquement sous l’angle de la réception, s’indignant par exemple des réactions de « la droite et de l’extrême droite » pour ne pas avoir à traiter un sujet embarrassant, l’assassinat du prêtre Olivier Maire en août en fournissant un nouvel exemple. Un journaliste a toujours le choix de dire ou de ne pas dire ce qu’il sait. Lorsque le passé judiciaire du réalisateur Ladj Ly a été révélé, Télérama n’a pas hésité à cautionner le silence entretenu : « Ladj Ly ne parle jamais de son séjour en prison, et les journalistes avaient, jusqu’à présent, toujours respecté son silence ».
Bref, il est très ingénu de ne pas voir que selon le journal dans lequel on travaille, certains faits ne constitueront même pas un « sujet ».
Ne pas savoir d’où l’on parle, c’est n’avoir aucun recul sur ses propres idées, c’est donc être tellement « idéologisé » qu’on n’a même pas conscience de l’être.
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