BIRKIN ou REGINE ?
Version 2 : Article rédigé par Brigitte Bouzonnie le 20 juillet 2023 + commentaires de mon ami Dominique Kern
Je sais les images pieuses qui ont bercé toute notre jeunesse : « Birkin, l’inoubliable ». « Birkin la grande dame de la chanson française ». « Birkin l’égal de la grande Edith Piaf ». Peut-être qu’il y a du vrai dans ces bobards. Mais je sais que je ne l’aime pas, comme interprète des chansons de Gainsbourg. Mais alors pas du tout.
Comme en ce moment, suite hélas à son décès, on a droit à un festival de ses chansons, -je viens encore de me payer l’inénarrable « Da do di do da, Da do di do da », il y a une heure sur France Info : un des textes les plus imbéciles de la chanson française, que je connaisse. Comme en ce moment, on baigne à n’y pas croire dans les chansons de Birkin, je ne résiste pas à l’envie d’écrire tout le mal que je pense de Birkin chanteuse. Une colère contenue pendant des années. Et qui mitonne à gros bouillons dans la cocotte-minute de mes souvenirs.
1°)- BIRKIN :
1-1°)- BIRKIN N‘AR-TI-CU-LE PAS. Ca, c’est pas possible. On ne comprend pas à minima ce qu’elle dit. Par exemple, lorsqu’elle chante Ballade de Johnny-Jane, on ne comprend absolument pas ce qu’elle veut dire. Cette chanson, je l’ai réécoutée cent fois, -c’était du temps des petites cassettes audio : rien que pour COMPRENDRE le texte de Gainsbourg. Notamment lorsqu’elle dit :
Eh Johnny Jane,
Du passé veux tu trancher la carotide
A coup de pieds dans les conserves vides.
Et, malgré tous mes efforts, le bouton mis à fond : je ne comprenais pas ce que Gainsbourg voulait dire.
Et si je publie le bon texte, les bons mots, c’est uniquement parce que j’ai tapé et trouvé sur Google : paroles de la ballade de Johnny Jane. Certes, Gainsbourg utilise un français très élaboré, très XVIIIème siècle : mais enfin, sa muse peut tout de même faire un effort musculaire des maxillaires, juste pour que l’on comprenne. Je ne lui demande pas d’avoir un prix de diction comme Barbara, juste de faire un petit effort. Celui que font tous les grands chanteurs/interprètes. Hier, je postai des chansons de Henri Tachan : avec sa belle voix, c’est un bonheur de comprendre ses textes coléreux et impertinents. Et je ne parle pas bien sûr de Reggiani, le même qui disait à Moustaki : c’est toi qui a écrit les chansons, mais c’est moi qui les interprète le mieux : Ma liberté. Votre fille a vingt ans. Madame Nostalgie. Ma solitude…
C’est tout simple, mais le premier plaisir d’une belle chanson, c’est d’écouter le texte. Et de comprendre les mots qu’il y a dedans.
Un jour à la fin de sa vie, Birkin confie que son accent anglais, c’est une pure invention de sa part. Qu’elle vit en France depuis le début des années 1960, qu’elle parle donc très bien le français. Je soutiens que si elle n’articule pas, c’est aussi volontaire de sa part, histoire de jouer à la « chanteuse franco-anglaise », qu’elle n’est plus depuis très longtemps. Aussi, ses textes « mangés », ses paroles volontairement mal articulées, c’est une pure arnaque de sa part, vis-à-vis de son public. Histoire de faire son intéressante.
Birkin ne respecte pas son public, comme pouvaient le faire une Edith Piaf. Aznavour. Brassens. Reggiani. Léo Ferré. Brel. Trenet. Tachan. Moustaki. Maxime Le Forestier….Je me souviens de ce CD en live de Birkin au Bataclan. Avec son petit filet de voix, les textes de Gainsbourg sont inaudibles. Son public interdit. Réfrigéré. Silencieux comme un frigo. Je me souviens aussi de cet enregistrement d’une chanson par Birkin avec Gainsbourg. L’excellent ingénieur du son, Dominique Blanc-Francart, qui a enregistré Pink Floyd, Bowie, Elton John…(voir fiche Wikipedia) critique sérieusement la « prise ». Dit qu’il faut la reprendre. Mais Gainsbourg lui répond : « ne commence pas à critiquer Jane. On n’arrête tout, c’est très bien ainsi »(sic). Sous-entendu : très bien que ce soit médiocre et inintelligible.
Ces deux anecdotes, pour dire que je ne suis pas la seule à reprocher à Birkin de ne pas savoir/vouloir AR-TI-CU-LER.
1-2°)- BIRKIN NE « DEFEND » PAS SON TEXTE DE CHANSON. Comme un Reggiani, l’interprète hors pair que l’on sait. Elle le dit avec sa petite voix. Du bout des lèvres, du bout du coeur. Comme on récite les cours de la bourse. Comme on lit une circulaire administrative. Quand on l’écoute, un ennui desséché, mortifère nous saisit. Si Michel Audiard écrit : « je mets des mots entendus au bistro dans mes scénarios : ça leur donne de la vie » (Audiard par Audiard, édition René Château/Mémoires du cinéma français, 1989. Si Audiard privilégiait plus que tout le langage vivant. A l’opposé, Birkin transmue les beaux textes créés par Gainsbourg en novlangue insipide. « Moderne » . Caoutchouteuse. Aseptisée. Lyophilisée. Avec Birkin, on est déjà dans le registre du “fake”, de la célébrité des fausses valeurs.
Elle ne respecte pas le texte qu’on lui confie. C’est inadmissible. De bons interprètes, prêts à articuler, bien défendre les chansons de Gainsbourg, il y en a treize à la douzaine. Que Birkin rentre à la maison, laisse sa place à des chanteurs(teuses) honnêtes, ce qu’elle n’est pas.
2°)- REGINE :
C’est le cas de Régine, qui interprète magnifiquement les chansons de Gainsbourg. En articulant, donnant le ton, tout comme il faut. Par exemple et bien sûr, « les p’tits papiers », une chanson que je chantai à sept ans, car j’adorais déjà les carnets et les livres. A cinq ans, j’’ai appris à lire dans un livre qui commençait par : Tchou tchou tchou, c’est un petit train d’autrefois. Tchou Tchou Tchou ses wagons sont démodés. Sans parler de mes doigts couverts d’encre, que le boulanger me faisait remarquer gentiment.
De Régine, à dix ans, j’aimais beaucoup aussi sa chanson : “J’ai toujours porté bonheur aux hommes”, dont le texte n’est pas rédigé par Gainsbourg, mais dont j’adorais l’humour gentil à la Kiraz, un des préférés de mon enfance avec “Les parisiennes” et “Hippolyte et Clémentine”.
Mais aussi « Tic tac toc », chanson hilarante racontant au second degré comment une prostituée, follement amoureuse de son mac, lui tire dessus, un jour qu’elle le prend au lit avec une autre femme. Paroles naturellement de Serge Gainsbourg, dont on reconnait le style.
Jacky était mon pote,
J’croyais trouver l’jackpot
Question de pot ou manque de pot
J’avais pour lui le Tic Tac Toc
J’refilai à mon pote,
L’total de mes bank notes
Toutes les liasses venues de passes
A faire et refaire Tic Tac toc
Sa tactique, c’était l’cok
Et son tic, les claques
Un beau mec mais un mac
Que ce maudit Jack
Un soir, j’surprends mon pote
Tout nu sous son trench coat
Mais pas tout seul, j’entends sa gueule,
Et l’matelas qui fait Tic Tac Toc
Jacky était mon pote
Tu as gagné l’jackpot
J’prends aussitôt son rigolo
J’ai tiré sur lui Tic Tac Toc
J’ai tiré sur lui Tic Tac Toc
Jacky
Jacky
Jacky
Jacky
Jacky
Jacky
Gainsbourg a écrit de nombreuses chansons pour Régine : outre les p’tits papiers et Tic Tac Toe, on compte : “Les femmes, ça fait pédé”. “Laisses-en un peu pour les autres”. “Loulou”. “J’te prête Charlie mais il s’appelle Reviens” (une de mes préférés). “Mallo Mallory”. “Ouvre la bouche ferme les yeux”. “Les bleus”. “Pourquoi un pyjama” sur un air d’opéra. “Si t’attends qu’les diamants t’sautent au cou” (autre excellente chanson du duo Gainsbourg/Régine).
J’ai l’album 33 tours, acheté dans les années 1980, dans un solding de disques, rue des écoles : il est magnifique. A nul autre pareil.
La vérité est que Birkin a pris la place de Régine. Un jour de 1969, suite à la rencontre Birkin/Gainsbourg dans Slogan, Gainsbours a cessé d’écrire pour Régine, donnat ses chansosn à Birkin. Comment je le sais ? Parce que c’est Régine qui le racontait un jour dans une interview dans Libération. Ce qui est sûr, c’est que le Public n’y a pas gagné au change.
Par son humour gentil, Régine fait penser, non seulement au dessinateur Kiraz (Les parisiennes). Mais de façon générale à tous les gentils des années 1960 : Bourvil, Michel Serrault, Lino Ventura, Pierre Tchernia, Georges Brassens. Raymond Poulidor, dont le Tour de France 2023 a rendu hommage en partant de Saint Léonard-de Noblat, la ville où il a vécu. Michel Audiard aussi, car sous la gouaille, c’était un chic type.
Régine est de la grande tradition. Celle consistant à monter sur les tables chanter les chansons des autres, comme elle le faisait au début à Lyon. Chez elle, on sent une envie de chanter irrépressible. Inextinguible. Dans la tradition de la grande Edith Piaf.
Edith Piaf raconte un jour comment elle chantait dans les rues lorsqu’elle était jeune. Un gendarme lui dit gentiment d’aller chanter dans une autre rue, pour ne pas la verbaliser. Il y a beaucoup dans cette anecdote : le gendarme sait qu’il n’empêchera pas Edith Piaf de chanter : il lui demande juste de le faire dans une autre rue. Ce qui montre à quel point une vraie chanteuse comme Edith Piaf a envie de chanter. Tout le contraire de Birkin.
A propos d’Edith Piaf, Michel Audiard écrit : « quand Edith (qu’on appelait encore la môme Piaf) entrait en scène, on avait chaque fois l’impression qu’elle venait de paumer ses tickets de pain. Et puis cette voix Bon Dieu ! On avait jamais rien entendu de pareil, jamais ! C’était beaucoup plus qu’une voix, plutôt quelque chose comme une plainte qui serait née dans les rues d’avant et qui retomberaient dans les rues d’alors, un truc parti de loin, peut-être de la Grand Peur de l’An Mil, et qui venait nous rappeler nos misères. On essaiera, je présume, de vous parler d’Elle sous la rubrique « Paris qui chante ». C’était Paris qui crie, Piaf. On l’entend encore. Cf article Paris-Match n°1525, 18 août 1975, dans : Audiard par Audiard, édition Mémoires du Cinéma français,1989.
PS Dominique Kern : Il y en a à raconter sur toutes ces dames. J'en aurait à raconter. Gainsbourg allait toujours chez Régine, le soir, jusqu'à la fin de sa vie. Et Jane était très attachée à Lévitsky, la première femme de Gainsbourg, qui est morte ici dans la région, à 95 ans, il n'y a pas si longtemps ...
Comments
Vous avez parfaitement raison