Benjamin Barber : comment le capitalisme nous infantilise ?
Présentation de l'ouvrage rédigé par Benjamin Barber par les équipes d'ELUCID le 27 janvier 2023
Le capitalisme, malgré ses travers, demeure encore le principe directeur de nos sociétés. Comment le capitalisme nous infantilise (2007) se propose d’expliquer les mécanismes de survie de ce système.
Le capitalisme maintient les individus à un stade de développement psychologique puéril ; ainsi soumis à leurs pulsions primaires, ils sont aisément manipulables. De cette manière, le capitalisme assujettit les régions du monde développé à un niveau élevé de consommation, malgré un marché saturé par la satisfaction des besoins réels. Affaiblissant le sentiment de citoyenneté, cette infantilisation endigue l’épanouissement de la démocratie, qui n’est possible que dans une société psychologiquement adulte.
Ce qu’il faut retenir :
Le libre marché favorise l’immaturité de la population. Désormais, la production ne répond plus à la demande, comme l’exigeait le capitalisme traditionnel, mais la demande est créée par le marketing et la publicité, pour répondre à un surplus de production. Les produits proposés, visant à satisfaire le plus grand nombre, sont simples et répondent au principe de l’immédiateté de la jouissance, deux caractéristiques de l’immaturité. Par les procédés de marketing, les publicitaires glorifient ainsi la jeunesse, ses volontés, ses attitudes et ses aspirations, pour que les individus demeurent dans un éthos puéril.
Incapables de devenir adultes, les individus s’impliquent de moins en moins dans la « vie de la cité ». La démocratie s’affaiblit et cède la place à une privatisation que l’on ne peut plus endiguer.
Ne voulant pas remettre en cause le bien-fondé de la globalisation et de l’économie de marché et percevant le principe d’une démocratie nationale comme un obstacle à ce marché, l’auteur appelle à mettre en place une démocratie entre les États, à l’échelle mondiale. Seul le pouvoir « transouverain » de cette gouvernance mondiale pourrait résoudre les problématiques mondiales unilatéralement.
Biographie de l’auteur
Benjamin Barber (1939-2017) est un écrivain américain et un ancien professeur de sciences politiques à l’université du Maryland aux États-Unis. Il fut également conseiller auprès de différentes personnalités politiques, y compris le candidat à la présidentielle Bill Clinton.
Spécialiste des questions de société civile, il fonde, en 2003, l’association CivWorld, dont l’objectif est d’encourager l’émergence d’une « société civile mondiale » afin de lutter contre les maux contemporains relatifs à l’environnement, aux inégalités ou à la guerre.
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
Plan de l’ouvrage
Partie I. La naissance des consommateurs
Chapitre 1. Le capitalisme triomphant et l’éthos infantiliste
Chapitre 2. Du protestantisme à la puérilité
Partie II. L’éclipse des citoyens
Chapitre 3. Les consommateurs infantilisés : l’avènement des grands enfants
Chapitre 4. Les citoyens privatisés. Fabrication d’une schizophrénie civique
Chapitre 5. Les identités de marque : la perte de sens
Chapitre 6. La société totalisante : la fin de la diversité
Partie III. Le destin des citoyens
Chapitre 7. Résister au consumérisme : le capitalisme peut-il se guérir lui-même ?
Chapitre 8. Surmonter la schizophrénie civique
Synthèse de l’ouvrage
Partie I. La naissance des consommateurs
Chapitre 1. Le capitalisme triomphant et l’éthos infantiliste
Nos sociétés contemporaines connaissent une véritable crise des cycles de vie, qui prend la forme d’une infantilisation massive des populations. Selon les définitions freudiennes, l’infantilisation se présente comme un phénomène de stagnation du développement psychologique ou de régression psychologique. En effet, aujourd’hui, l’individu est constamment en conflit avec son âge, qu’il souhaite paraître plus âgé ou plus jeune : l’enfance est écourtée et la vieillesse repoussée, tandis que les phases d’adolescence et de jeunesse sont glorifiées.
Ce phénomène d’infantilisation, constaté dans le monde entier, trouve ses origines dans le développement du capitalisme. Aujourd’hui, la production et la marchandisation sont illimitées (la vie, le corps ou encore l’air sont devenus des marchandises), ce qui provoque une véritable saturation du marché occidental. Par conséquent, le système capitaliste se maintient en incitant les individus à consommer des produits dont ils n’ont pas besoin. Ce n’est plus la production qui répond à la demande, mais le marketing, par la publicité, qui crée une demande pour répondre à un surplus de production.
Les jeunes représentent la catégorie disposant du plus important pouvoir d’achat, malgré des revenus faibles, voire inexistants. Cette catégorie comprend les enfants et adolescents, dont les besoins sont satisfaits par les adultes-consommateurs qui ont leur charge, et les jeunes adultes vivant chez leurs parents dont les frais fixes sont réduits. On constate en effet l’augmentation de la proportion de « squatteurs » continuant de vivre chez leurs parents de plus en plus tard (57 % des hommes et 38 % des femmes entre 20 et 24 ans en Grande-Bretagne en 2007).
L’objectif du marketing et du marchandisage consiste par conséquent à maintenir les individus dans un éthos infantile, c’est-à-dire à maintenir l’illusion d’une jeunesse permanente. Ce mécanisme permet d’encourager les comportements puérils et impulsifs de consommation.
Ce phénomène s’accompagne d’un abêtissement des produits proposés et d’un abêtissement du public à qui ils sont destinés. Cette situation est identifiable à travers de multiples exemples, comme la distribution de sucettes par des policiers à des passagers impatients. L’industrie du cinéma n’est pas épargnée : des adaptations de bandes dessinées et autres histoires pour enfant sont désormais proposées en films pour jeunes adultes (Marvel, Spider-Man, Shrek, etc.). Ce type de production se place systématiquement en tête du palmarès en termes de ventes de billets. À la différence du pluralisme des adultes, les goûts des jeunes (vestimentaires ou culturels) ont l’avantage de tendre vers l’universalité et l’homogénéisation en raison de leur vulnérabilité psychologique.
Les dépenses publicitaires ciblant les enfants et la jeunesse ne cessent ainsi de s’accroître. Grâce à la publicité, le capitalisme assimile la consommation à une autonomisation, soit une conquête de son libre arbitre et une émancipation parentale. La célébration de faux sentiment d’indépendance cache en réalité un mécanisme de manipulation des individus vulnérables que l’on incite à rester soumis à leurs pulsions puériles.
Selon Freud, la puérilité se distingue de la maturité par la faculté de l’adulte à sortir du narcissisme pour subordonner son « Moi » au « Monde ». Dans le cadre d’une démocratie reposant sur des citoyens adultes, le principe freudien se traduit ainsi par la priorité accordée au public sur le privé. Or, le capitalisme consumériste tend à substituer aux choix collectifs, les répercussions publiques des multiples choix privés.
Chapitre 2. Du protestantisme à la puérilité
Selon Max Weber, le capitalisme est né du développement de l’éthique protestante. Les valeurs protestantes, poussant l’individu à chercher les signes de son salut dans sa réussite économique, engendrèrent une mentalité capitaliste particulière.
L’éthique protestante du capitalisme prônait la satisfaction différée, l’épuisement altruiste, l’abnégation ascétique. Le travail était la valeur religieuse et économique américaine par excellence, de sorte que la prospérité, qui s’ensuivait immanquablement, constituait une preuve de grande moralité et piété. Au fil du temps, l’éthique protestante du capitalisme a cependant évolué.
Ce capitalisme d’investissement décrit par Weber est passé par plusieurs états avant de devenir le capitalisme consumériste contemporain. Le capitalisme libéral d’abord, se caractérisait par une éthique individualiste et a consacré la primauté des relations contractuelles fondées sur le droit. Ce capitalisme a ensuite évolué vers une version managériale centrée sur la figure du directeur, pour se transformer finalement en un capitalisme infantilisant qui fait primer la consommation sur le travail en assimilant la consommation à un travail. Il ne s’agit plus de répondre à un besoin existant par l’investissement, mais de créer de nouveaux besoins inutiles pour écouler l’excès de production.
Détachées des valeurs protestantes originelles, qui constituaient leur soubassement moral, l’épargne et la prospérité ont été remplacées par la cupidité. Nous sommes désormais tous engagés dans une course à l’enrichissement, sans visée ascétique ou purificatrice, sans investissement réel. Le capitalisme consumériste favorise ainsi l’accroissement des inégalités.
Partie II. L’éclipse des citoyens
Chapitre 3. Les consommateurs infantilisés : l’avènement des grands enfants
Les adultes sont en principe caractérisés par une culture pluraliste, la maîtrise de leurs pulsions et émotions, une préférence pour les satisfactions différées, une préoccupation pour la continuité historique, et une primauté accordée à la raison et à l’ordre hiérarchique. Dans nos sociétés, cependant, ces principes d’un monde adulte sont inexistants. Les gens préfèrent le jeu, le dogme, le présent atemporel, le narcissisme, la jouissance immédiate, ou l’image.
En somme, l’éthos infantiliste accorde une plus grande valeur aux plaisirs simples et immédiats (regarder la télévision, acheter, perdre du poids sans exercice, etc.), au détriment des plaisirs complexes, c’est-à-dire ceux nécessitant un niveau de travail ou d’expertise supérieur. Cette hiérarchie va à l’encontre des principes religieux et philosophiques. Selon Aristote, Saint Augustin, John Stuart Mill ou d’autres, les plaisirs complexes sont préférables aux plaisirs simples, car ils apportent un bonheur plus complet et une jouissance plus complexe et plus satisfaisante. Or, pour la première fois dans l’histoire, les penseurs de notre époque affirment au contraire l’équivalence des formes de plaisirs, qu’ils ne réduisent d’ailleurs qu’à des stimulations sensorielles agréables.
Tout comme il préfère la simplicité à la complexité, le modèle capitaliste consumériste privilégie la rapidité à la lenteur. Ce principe s’applique particulièrement au commerce. La musique, les prises de vue au cinéma, les performances sportives, ou la restauration sont soumises à l’exigence de rapidité, qui devient l’argument commercial par excellence (café instantané, four rapide, etc.). Le gain de temps constamment recherché entraîne un renouvellement constant des choses de notre vie (la maison, les amis, les amants, la mode, etc.). Le capitalisme consumériste s’assure ainsi une consommation constamment renouvelée, plus rentable qu’une expérience prolongée. Les véritables adultes n’agissent pas contre les exigences puériles de célérité et de facilité.
Chapitre 4. Les citoyens privatisés. Fabrication d’une schizophrénie civique
L’éthos infantiliste est soutenu par l’idéologie néolibérale qui donne la priorité, en matière économique, à l’exercice de la liberté au sein d’un marché, au détriment des contraintes de la réglementation. Autrement dit, le droit et les libertés privés ont une plus grande valeur que le droit et la liberté publics.
Depuis son essor dans les années 1980, sous l’impulsion de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, la doctrine néolibérale présente l’État comme « l’ennemi de la liberté » et assimile l’hétéronomie des lois à la tyrannie. La privatisation, à l’inverse, est vertueuse, car synonyme d’affirmation de la liberté. Elle est ainsi considérée comme l’unique moyen de prolonger l’héritage révolutionnaire et de créer une véritable démocratie.
L’appel à la liberté lancé au XVIIIe siècle par les Lumières, puis au XXe siècle dans les États sous domination communiste, s’est toujours réalisé en opposition à un État dont l’aspect tyrannique s’exprimait, en pratique, à travers la répression ou la monopolisation du pouvoir entre les mains de peu d’individus (le Roi, l’Église, ou le Parti). Chaque fois, il s’agissait d’instaurer une République libre. L’État ainsi créé régulait la liberté afin d’empêcher les dérives (par des renationalisations si nécessaire). Le néolibéralisme, contre ce libéralisme naissant du XIXe siècle, a détruit cet héritage et entrepris de privatiser les biens et les libertés publiques pour exploiter leur potentiel de marchandisation.
En consacrant la prédominance du privé sur le public, le capitalisme a favorisé les intérêts du consumérisme, mais a entraîné par la même occasion la disparition des représentations de la communauté démocratique. Ce contexte a entravé le processus d’identification des individus à des citoyens, les réduisant peu à peu à leur seule fonction de consommateur.
En outre, la privatisation a fait passer des prérogatives autrefois publiques à la charge d’entreprises (par exemple, des entreprises de sécurité ou de philanthropie sont désormais chargées de la protection des plus faibles ou de l’environnement). Cependant, puisque l’action des entreprises est dirigée par des considérations d’ordre économique (profit), la gestion privée de ces secteurs est bien moins altruiste que celle entreprise auparavant par la collectivité.
Or, l’addition des intérêts personnels est distincte de l’intérêt général. La confusion actuelle entre ces deux notions est une conséquence directe de la puérilité de nos sociétés, alimentée par le consumérisme : nous confondons « ce que nous voulons » et « ce que nous voulons vouloir ».
Chapitre 5. Les identités de marque : la perte de sens
Jusqu’au début du XXe siècle, parce qu’il existait seulement quelques monopoles et trusts, la publicité n’était pas nécessaire. Mais, avec l’émergence d’une relative diversité, les entreprises furent forcées de créer de véritables programmes pour mettre en valeur leurs produits et ainsi développer leur « trademark ». Il ne s’agissait plus de répondre à un besoin, mais de susciter le désir grâce à la publicité.
Les publicitaires cherchent désormais à obtenir la fidélité des consommateurs à la marque. L’entreprise ne vend plus des produits, mais un ensemble de valeurs, un style de vie, un état d’esprit, voire une personnalité (égérie). Les produits deviennent les attributs pour atteindre une représentation idéalisée de soi, développée grâce au marketing. Le but est d’ériger une relation émotionnelle indéfectible avec le client, de sorte que la marque et ses implications sociales aient plus de valeurs que le produit en lui-même. La marque devient alors une « lovemark ».
Ce type de marketing est identifiable en particulier pour les produits vestimentaires et alimentaires (Nike, Ralph Lauren, Coca-Cola…), mais aussi pour les produits culturels, comme les films, les livres, la musique et les programmes télévision qui jouent davantage sur le cachet de leurs vedettes (Oprah Winfrey, Stephen King, etc.) que sur le produit en lui-même.
Par l’entremise du « branding » (c’est-à-dire les stratégies de développement de la marque d’une entreprise), les marques choisies par l’individu tendent alors à se substituer à son identité, à sa consommation, à sa personnalité. Cette confusion entre l’être et le paraître laisse l’individu à l’état de coquille vide.
Les États, également, tendent à devenir des marques, particulièrement les États-Unis. Entre autres signes de cette tendance, le département de la Diplomatie publique et des Affaires publiques américain n’est plus dirigé par des fonctionnaires, mais par une spécialiste de la publicité et du marketing, issue du secteur privé, Karen P. Hugues.
Chapitre 6. La société totalisante : la fin de la diversité
Le capitalisme consumériste emprisonne les individus dans une « cage de fer » de consommation. Après la naissance des régimes politiques républicains du XVIIIe siècle, constatant le caractère influençable des individus, les philosophes avaient, en effet, mis en garde contre une nouvelle forme de tyrannie, non plus physique, mais psychologique. Or, grâce à ce mode opératoire, le marché s’est doté d’une force totalisante et homogénéisatrice, faisant de lui un système quasi totalitaire.
Par des formes de manipulation imperceptibles, le pouvoir du marché s’impose aux individus. Sous le vernis d’une concurrence et d’un pluralisme, résulte, par exemple, une homogénéisation de l’offre. Cette homogénéisation se traduit en réalité par un nivellement par le bas. Et, malgré les apparences, le « libre choix » est biaisé, car les conséquences des multiples choix individuels aboutissent généralement à une situation publique différente de ce que toute population consultée aurait pu souhaiter.
Le marché envahit notre espace. Qu’il s’agisse de la sphère familiale, religieuse, relationnelle, de l’école ou du travail, la consommation s’est infiltrée partout et a privatisé ces espaces. De l’espace public investi par les téléphones portables reliés aux fréquences de télévision, en passant par les foyers (TV), les plafonds d’autobus, les gratte-ciels ou même au sein des écoles et universités, le marché est partout. Tout espace tend à être privatisé et rentabilisé par la publicité.
Le temps est lui aussi assailli par le marché. Il n’est plus rythmé par des rituels religieux ou laïcs, mais par l’économie. Les fêtes de Noël, d’Halloween, la Saint Valentin, les mariages ou les baptêmes sont devenus de nouvelles occasions de consommation. Les amplitudes d’ouverture des magasins ne cessent de s’élargir tandis que les moments où les individus sont normalement coupés de la consommation (École, Église…) tendent à diminuer.
Le marché crée également des formes de dépendances qui ciblent principalement des individus puérils, consommateurs de jeux vidéo, aux écrans, aux fast foods, à l’alcool, etc. À chaque besoin naturel, correspond d’ailleurs des produits commerciaux facilitateurs, présentés comme indispensables pour l’assouvissement de ce besoin (une soirée entre amis avec Heineken, une conversation autour d’un écran de télévision…). Les addictions traditionnelles aux écrans, à l’alcool, à la cocaïne sont ainsi rejointes par l’addiction à l’achat.
Par ailleurs, le marché a une capacité d’autoduplication. Après une première implantation, puis la multiplication par la franchise, une firme peut étouffer la concurrence. À terme, soit la firme devient un monopole, soit elle encourage ses concurrentes à l’imiter. Dans tous les cas, il y a donc un phénomène de réduction de la diversité et du pluralisme et une uniformisation de l’offre (fast food, mode de jeune, etc.). De plus, du fait de la privatisation croissante, on assiste également à un phénomène de marchandisation de toute chose (air, vie, communication des savoirs…).
Enfin malgré toutes ces dérives, le marché est capable, grâce au marketing, d’affermir sa légitimité : son ubiquité est présentée comme un élargissement des choix pour le consommateur, son caractère addictif, comme la satisfaction saine des besoins des individus, et l’homogénéisation, comme un consensus à un ensemble de valeurs véhiculées.
Partie III. Le destin des citoyens
Chapitre 7. Résister au consumérisme : le capitalisme peut-il se guérir lui-même ?
Différentes voies de résistance existent pour contrer les dérives du capitalisme consumériste. Il peut s’agir d’une retraite ascétique du monde de la consommation, mais cette voie demeure marginale. Les mouvements religieux, notamment le djihadisme, sont dirigés contre le capitalisme occidental, mais ils menacent également le principe démocratique.
Afin de sauvegarder la démocratie et de réformer le capitalisme, les consommateurs doivent prendre conscience des manipulations auxquelles ils sont soumis, en étant soutenus par les pouvoirs publics, dont la responsabilité est de rétablir un équilibre entre privé et public, entre consommateur et citoyen.
Des phénomènes naturels de protection existent afin de limiter le capitalisme consumériste, notamment concernant l’uniformisation de l’offre. La créolisation, c’est-à-dire l’acculturation d’une firme s’implantant à l’étranger, pourrait devenir une contrainte, favorisant ainsi la diversité des produits proposés.
Le brouillage culturel est une autre piste à explorer. Il s’agit de reprendre les instruments marketing du consumérisme (rhétorique, graphisme, détournements imaginatifs…) pour les retourner contre celui-ci ; par exemple coller des autocollants « GRAISSE » sur des tables de Mac Donald, organiser des journées « sans achat » (par opposition au Black Friday), des restaurants « slow food », etc.
Ces types de résistance, cependant, ne constituent que de faibles limitations à certaines dérives totalisantes du capitalisme puisqu’ils ne proposent pas une véritable alternative au système capitaliste.
Chapitre 8. Surmonter la schizophrénie civique : la restauration de la citoyenneté dans un monde interdépendant
Une première proposition pour renouveler nos modes de vie serait de rééduquer le capitalisme en assignant au consumérisme et aux entreprises une fonction civique. En effet, si l’on attribue aux entreprises une responsabilité civile, ces dernières pourraient adapter leur offre pour répondre à des besoins de société et non seulement de consommateurs (par exemple : mettre en place une limite d’âge à certains contenus de jeux vidéo). Toutefois, l’impact de ce type de mesure est limité. Rien n’oblige les entreprises à respecter ces normes civiques, lesquelles demeurent, en tout état de cause, inférieures en termes de priorité, aux profits de l’entreprise. Les États sont eux-mêmes dans l’incapacité d’imposer ces normes, car ils sont limités par l’interdiction d’entraver le marché par les institutions mondiales (FMI, OMC…).
Pour autant, les entreprises peuvent faire le choix d’améliorer la gamme de certains de leurs produits, en cessant ainsi d’alimenter l’éthos infantiliste. Jouxtant les productions grand public, certains studios de Hollywood, par exemple, prennent le risque de produire quelques films sérieux ou engagés qui ne seront pas forcément rentables. Malgré leur diffusion réduite, ces productions sont généralement saluées par les critiques et récompensées par des prix. En d’autres termes, les produits bas de gamme abêtissants et grand public financent les productions de qualité. Cette technique dite « du portefeuille » est exploitée dans d’autres secteurs, dans celui de la restauration ou du jeu vidéo entre autres.
Cependant, le principal problème du consumérisme réside dans la concentration de l’offre dans certaines régions (en particulier en Occident) dans lesquelles le marché est saturé, au détriment des régions les plus pauvres.
Pour mettre fin à toutes les dérives du capitalisme consumériste, il faut faire cesser la schizophrénie civique, c’est-à-dire l’effacement du citoyen au profit du consommateur. Seule une démocratie forte serait capable de maîtriser les dérives du capitalisme. Or, le marché s’est étendu partout dans le monde. Les démocraties sont ainsi affaiblies par la concurrence législative engendrée par le marché. En outre, l’action individuelle de multiples nations démocratiques, se battant chacune pour leur propre intérêt, ne saurait constituer une réponse appropriée face au marché.
Par conséquent, pour démocratiser le capitalisme, la seule option est de créer une démocratie réunissant tous les États au sein d’un gouvernement mondial.
« Le remède aux maux de la démocratie au sein des nations, c’est plus de démocratie entre les nations », accompagnée d’une mise en commun du pouvoir à travers une « transouveraineté ».
Cette démocratie mondiale qui s’accompagnerait d’une citoyenneté mondiale serait alors à même de résoudre unilatéralement les problématiques liées à la pauvreté, à l’environnement ou encore aux guerres.
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