APRÈS LA SÉCHERESSE HIVERNALE, LES PÉNURIES D'EAU MENACENT L’ÉTÉ 2023 !
Article rédigé le 29 mars 2023 par Lucie Touzi pour le site ELUCID
C’est encore un triste record qui a été battu en France avec une série de 32 jours consécutifs sans pluie, entre le 21 janvier et le 20 février, sur l’ensemble du territoire. L’hiver est pourtant une période cruciale pour reconstituer les stocks d’eau avant l’arrivée de la saison estivale. Alors que les sols étaient déjà affaiblis après un été 2022 très chaud et très sec, le manque de pluie cet hiver est loin d’être une bonne nouvelle…
Pas de pluie pendant 32 jours, des départs d’incendies dans le Sud de la France, des restrictions d’eau dans certaines régions… Cet hiver est marqué par une forte sécheresse qui fait suite à l’année 2022 la plus chaude jamais enregistrée sur le territoire métropolitain. « 2022 est l'année la plus chaude depuis 1947 dans toutes les régions administratives, excepté en Île-de-France où elle se classe en 2e position. Elle a également été exceptionnellement sèche, marquée par un déficit pluviométrique record de 25 % », indique Météo France.
La saison des pluies hivernales était pourtant attendue avec impatience afin de recharger les nappes souterraines hautement impactées par la sécheresse depuis la fin de l’hiver 2021-2022. Selon Météo France, « 2022 a connu la 2e plus longue période de sécheresse des sols de son histoire ». Cette recharge essentielle commence au début de l’automne jusqu’au début du printemps, lorsque la végétation est encore en sommeil et que les précipitations sont normalement abondantes.
Dans les faits, cet hiver, l’absence de pluie n’a fait qu’accentuer l’assèchement des sols, déjà très affaiblis par la sécheresse de l’année dernière. « Plus des trois-quarts des nappes restent sous les normales mensuelles avec de nombreux secteurs affichant des niveaux bas à très bas. Les niveaux sont nettement inférieurs à ceux de décembre de l’année dernière », indique le Bureau des recherches géologiques et minières dans le bulletin de situation hydrogéologique du 1er janvier 2023.
Pénurie d’eau pour l’été 2023 ?
La saison hivernale est le moment idéal pour les nappes souterraines et les rivières de retrouver leurs niveaux habituels, mais sans précipitations, la tâche est impossible et les conséquences peuvent être désastreuses. « Les nappes sont des réserves d’eau potable mais ce sont aussi des réserves dans lesquelles on peut puiser pour l’irrigation des cultures par exemple. Des écosystèmes forestiers et aquatiques vont également dépendre du bon remplissage de ces nappes », explique Françoise Vimeux, climatologue et directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement.
Le temps est compté car, dès l’arrivée du printemps, la hausse des températures et la reprise de la végétation, qui se traduit par l’augmentation de l’évapotranspiration, limitent l’infiltration des pluies vers les nappes. Françoise Vimeux ajoute :
« À partir du moment où la végétation va redémarrer, celle-ci va pomper le peu d’eau qu’il y a dans les sols et celle qui va tomber sous forme de pluie. On ne pourra plus remplir les nappes et réhumidifier les sols en profondeur. »
De plus, le manque de précipitations va avoir un impact sur le niveau des lacs dits « d’usage », c’est-à-dire les lacs créés pour le fonctionnement des barrages hydroélectriques, et donc sur la production d’électricité. Il est également à l’origine de départs d'incendies comme nous avons pu le voir dans les Pyrénées Orientales au début du mois de février. « De manière globale, dans un climat qui se réchauffe, on va avoir des périodes de sécheresse qui vont être plus intenses, plus fréquentes mais surtout plus longues », assure la climatologue.
Si les précipitations restent faibles et les températures élevées, il est certain que « l’assèchement des sols va avoir des conséquences sur les activités agricoles, il va y avoir des pénuries d’eau et le risque d’incendie sur le territoire métropolitain va augmenter grandement ». Cependant, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions car la pluie est difficilement prévisible, « on ne peut pas la prévoir raisonnablement au-delà d’une semaine ».
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Réduire les émissions de gaz à effet de serre est la seule et unique solution
Les sécheresses sont de plus en plus intenses, c’est pourquoi il faut trouver rapidement des solutions pour s’adapter à ces changements et limiter leurs impacts. Davide Faranda, climatologue CNRS au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement de l'Institut Pierre Simon Laplace, s'interroge :
« Il y a des efforts pour rechercher des solutions mais elles ne peuvent pas arriver du jour au lendemain, c’est juste un problème beaucoup trop complexe et il fallait y penser avant.... Combien de COP va-t-il falloir pour que les choses changent ? »
Les pistes d’adaptation existent, telles que la diversification des cultures et les techniques de l’agroforesterie, mais ces mesures demandent du temps pour être véritablement efficaces. « En revanche, sur le court terme, on peut commencer à irriguer un petit peu plus tôt, un peu moins fortement, ce qui permet d’étaler la demande en eau pour l’irrigation plutôt que d’attendre d’avoir le couteau sous la gorge », explique Françoise Vimeux. Il est clair que notre adaptation au climat qui ne cesse de changer est beaucoup trop lente et reste encore trop fragmentée à l’échelle locale.
Finalement, on en revient toujours à la même conclusion : il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement global et son impact sur notre climat et notre société. Le climatologue Davide Faranda insiste :
« Les sécheresses ont déjà provoqué des famines qui ont déclenché des révolutions politiques, telles que la Révolution française. Ces évènements climatiques extrêmes peuvent apporter un point de bascule sociétale, économique et politique. Personne n’est à l’abri. »
Une étude réalisée par des chercheurs du CNRS-INSU a permis de mettre en évidence la responsabilité du changement climatique lié aux activités humaines dans la survenue d’épisodes de sécheresse prolongés, comme c’était le cas en Europe de l’Ouest et dans la région méditerranéenne en 2022.
L’équipe de chercheurs a réussi à établir un lien entre la sécheresse et la circulation atmosphérique. « En analysant les mois de décembre 2021 jusqu’au mois d’août 2022, nous nous sommes aperçus qu’il y avait une zone anticyclonique, c’est-à-dire une zone de haute pression, assez persistante », indique Davide Faranda, auteur principal de l’étude.
En comparant les sécheresses des périodes antérieures au réchauffement climatique (1836 et 1915) avec celles qui sont plus récentes (1942 et 2021), les chercheurs ont pu prouver la responsabilité du changement climatique anthropique dans l’aggravation des périodes de sécheresse. « Les mêmes anticyclones dans le présent sont beaucoup plus intenses et étendus d’un point de vue géographique. Avant, les sécheresses étaient moins intenses et limitées à des régions plus petites », confirme-t-il.
C’est pourquoi, d’après le climatologue, réduire nos émissions de gaz à effet de serre devient urgent si on ne veut pas que cet hiver ne devienne une normalité : « Si on continue sur cette voie, à partir de 2040-2050, presque tous les hivers vont ressembler à celui que nous venons de vivre, c’est-à-dire des hivers très doux avec des incendies et des pénuries d’eau ».
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