Lorsque le 16 octobre 1957, Albert Camus apprend que le prix Nobel de littérature lui sera attribué le lendemain, « une sorte de panique » l’envahit. Il évoque cette panique et s’en explique deux mois plus tard, en introduction à son discours de réception à l’Académie suédoise : « Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d’une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l’amitié, n’aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d’un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d’une lumière crue ? »
Sa première déclaration publique, le 17 octobre, est pour proclamer que le Nobel aurait dû aller à son aîné André Malraux, à qui il doit tant. En cette année 1957, d’autres noms circulent pour la distinction littéraire suprême, comme ceux de Boris Pasternak, Saint-John Perse ou encore Samuel Beckett, qui vont tous recevoir le prix Nobel ultérieurement. Pour l’heure, c’est Albert Camus, à peine âgé de 44 ans, qui reçoit le prestigieux prix littéraire. Il est, après Rudyard Kipling, le plus jeune lauréat à recevoir cette distinction.
Dans le discours de réception qu’il prononce à l’Académie suédoise, le 10 décembre 1957, il se demande « de quel cœur recevoir cet honneur quand, en Europe, d’autres écrivains, parmi les plus grands, sont réduits au silence » et que sa « terre natale », l’Algérie, « connaît un malheur incessant ».
« Je ne puis vivre personnellement sans mon art », poursuit-il. « Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire, au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. »
De là les scrupules de Camus à recevoir le Nobel. L’honneur, pour lui, n’est pas tant de recevoir maintenant ce prix prestigieux, que d’avoir été soutenu « pendant plus de vingt ans d’une histoire démentielle […] par le sentiment obscur qu’écrire était aujourd’hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m’obligeait particulièrement à porter, tel que j’étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l’espérance que nous partagions ».
Partager et témoigner, tels sont peut-être les maîtres-mots de l’idée que se faisait Camus de son rôle d’écrivain. En 1940, il quitte Alger pour Paris, entre dans le mouvement de résistance « Combat ». Il a une idée précise du programme qu’il veut accomplir. D’abord témoigner de « l’absurde », avec son premier roman L’Étranger et son essai Le Mythe de Sisyphe, publiés en 1942, et ses pièces Le Malentendu (1944) et Caligula (1945). Succède ensuite le « cycle de la révolte » avec La Peste (1947), L’homme révolté (1951), et sa pièce Les Justes (1949). Il vit le déclenchement de la guerre d’Algérie comme un authentique drame personnel. Après La Chute (1956), il publie L’Exil et le Royaume (1957) et Réflexions sur la guillotine (1957) avant de recevoir le Nobel.
Albert Camus entreprend alors un roman, Le Premier Homme. Il y travaillait au moment de sa mort dans un accident de voiture, le 4 janvier 1960. Il avait 47 ans et venait de déclarer : « Mon œuvre est devant moi… »
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