Alain Badiou, "inspirateur" ou "organisateur" de la Révolution ?!
Article rédigé par Brigitte Bouzonnie le 20 avril 2023
Je poursuis avec intérêt ma lecture du livre de souvenirs rédigé par le philosophe Alain Badiou : “mémoires d’outre-politique”, édition Flammarion, 2023. Cette lecture me rappelle et me renvoie dans la figure tous les mauvais procès de Moscou initiés contre Badiou. Notamment, outre le grief selon lequel, ce serait un “intellectuel de salon”, un autre grief, qui me met très en colère, selon lequel, il serait incapable “d’organiser” et “d’animer” un parti politique révolutionnaire qu’il appelle par ailleurs de ses voeux.
Outre le fait que cette critique vient le plus souvent de petits chercheurs boboïsés parisiens apoliques, qui n’ont jamais distribué un seul tract de leur vie (aucune importance !), elle a été émise et c’est beaucoup plus grave, par mon ami marxiste Ernesto Monteagudo, dont les avis ont pour moi beaucoup d’importance. Et qui jusque là, disait être l’ami de Alain Badiou.
Voilà pourquoi je prends le temps de répondre à cette critique sensée décaniller, pulvériser pour toujours la belle image d’un intellectuel marxiste, violemment critique (et à juste titre !) des professionnels de la politique de gôche (du tortionnaire Guy Mollet au cupide Mélenchon, vendant à Macron notre fond de commerce politique contre du fric : dispositif de financement de la vie politique).
Dénonçant avec lucidité les inégalités sociales abyssales structurant hélas notre planète : 10% de la population confisque 85% des richesses. La classe moyenne ( 40%) confisque 14% de ces richesses. Et 50% des peuples n’a rien du tout (cf “Notre mal vient de plus loin. Penser les tueries du 13 novembre 2015”, édition Fayard, 2016).
Dénonçant aussi avec lucidité cette jeunesse qui n’a rien (même pas de quoi offrir un café à une fille), “constituée en problème, dès le plus jeune âge”(sic) ( cf deux très belles vidéos, que je vous recommande : cf interview de Alain Badiou sur la chaine CLIQUE du 1er avril 2016. Partie 1 et 2 : l’amour et la haine). Je vais les reposter pour que vous vous fassiez votre avis.
Je concède que le philosophe Alain Badiou souffre d’un problème : “le théoricisme”. Le fait de conceptualiser pour conceptualiser. Je ne suis pas la seule à le penser. Son amoureuse des années soixante-dix, Cécile Winter, activiste âgée alors de 18 ans, qui n’a donc pas fait d’études, lui dresse (d’un ton un peu sévère, mais pas trop, vu qu’elle est amoureuse de Badiou) un véritable procès en théoricisme. Et elle a mille fois raison. Alain Badiou se justifie, et tous les trois, Badiou, l’ami Emmanuel Terray depuis Normale Sup et elle fondent l’Union des Communistes de France marxiste léniniste (UCFML).
Une des tâches de l’UCFML est d’aller tous les matins distribuer des tracts, d’abord à l’usine Chausson de Genevilliers. Avant (non daté), il faut savoir qu’avec Marie-Claire Boons, autre amoureuse de Badiou, (dont j’ai lu le livre de souvenirs avec beaucoup de curiosité !), ils vont tous les deux à l’usine Rhône-Poulenc d’Ivry. Dans tous les cas, ils sont accueillis avec le sourire complice par les salariés connaissant leur profonde sincérité. Avec l’UCFml, leur objectif est de créer “les noyaux communistes ouvriers”.
Et Badiou de rédiger ce très beau texte : “je me souviens encore de ces petits matins à cette porte vraiment symbolique (de Rhône Poulenc), quand arrivait le flot des ouvriers et que nous leur donnions, nous, sous la forme d’un beau petit livre, les leçons générales qu’on pouvait tirer de la grève, et notamment du collectivisme des décisions prises ensemble” (sic). Concrètement, ils se battent contre le “salaire tête du client” : on ne parlait pas encore de “salaire au mérite” : un sujet grave et plus que d’actualité depuis que les gouvernements successifs ont hélas abandonné depuis 1992 les augmentations généralisées de salaire.
Dans son très beau livre sur “les combats de l’Abbé Pierre”, avec de formidables dessins de Cabu, édition du Cherche Midi, 2012, dont je vous reparlerai prochainement, Denis Lefebvre explique, à la fin du livre, combien l’Abbé Pierre était beaucoup plus un “inspirateur” qu’un “organisateur”. Ainsi, prenait-il son téléphone pour parler à Madame Simone Veil, ministre des affaires sociales entre 1993 et 1995. Non pas pour lui donner une liste de commission des choses à faire. Mais pour lui dire l’état de ses réflexions spirituelles.
Je crois que ce distinguo s’applique très bien pour parler du philosophe Alain Badiou. Et je concède tout à fait que Badiou est plus un ”inspirateur” qu’un “organisateur”, comme j’ai pu notamment en rencontrer au Parti de gauche à ses débuts en 2009. Je fréquentais alors régulièrement le “cercle Marianne” (section PG du 13 ème arrondissement de Paris), animé activement par Julien Barois ( je m’entendais très bien avec lui, parlant livres avec plaisir avec lui) et Manuel Bompard. Presque toutes les nuits, “les deux garçons”(sic), comme on les appelait, faisaient des collages magnifiques d’affiches du parti de gauche dans tout le XIIIème arrondissement. Notamment ma rue était remplie de ces affiches rouges, dont la seule vue suffisait à me réjouir toute la journée. Manu et Julien occupaient l’espace urbain symbolique. Sans parler de notre présence régulière tous les dimanches sur le marché Blanqui. Où nous étions très bien accueillis : tout le contraire des militants du PS !
Je peux donc témoigner combien ce modeste travail militant a été “payant”. Aux élections européennes de 2009, le PG/FDG a obtenu au niveau national 6,5% des suffrages. Beaucoup plus dans le XIIIème arrondissement de Paris. Ce sont donc de très bons souvenirs.
Puis manu a été aspiré par la direction du PG : d’abord Danielle Simonnet, puis Mélenchon lui-même, formant un “trouple” avec Chikirou et JLM. Ce que voyant, Julien a quitté le PG et vit aujourd’hui le grand amour avec une infirmière.
Mais revenons à Alain Badiou. Un jour, un journaleux au regard pétrifié d’inintelligence crasse, les yeux à la Tex Avery, a traité notre philosophe de “dernier des mohicans communistes”. Du tac au tac, Badiou a riposté en disant en substance, qu’il était plutôt “le premier intellectuel communiste d’un nouveau parti politique”(sic). C’était l’époque où je commençais à critiquer de façon féroce la direction du PG/LFI. Déjà à cette époque, je réfléchissais fermement à scissionner de la France Insoumise, pour fonder un nouveau mouvement politique : le rassemblement “Pouvoir au Peuple”, visant à offrir une vie décente et joyeuse pour tous.
C’est ce que nous avons fait le 31 juin 2019, avec mes amis Clémentine Langlois (candidate de la FI en 2017), et Aymeric Monville (membre du PRCF et éditeur hors pair des éditons DELGA). Et Jacques Toulouse du PARDEM. J’ai écrit à un responsable de l’UPR, qui avait un nom à charnière, dont l’adresse mail m’a été donnée par un bon militant de l’UPR : Olivier Loisel, aujourd’hui parti à Génération frexit) avec qui je discutais souvent avec plaisir sur Facebook : pour lui demander de se joindre à notre rassemblement. En retour, j’ai reçu un refus d’une rare violence. La vérité est que j’étais la victime collatérale de bisbilles entre l’UPR et le PARDEM qui se détestent pour des raisons obscures.
Mais revenons à Alain Badiou. Sur ses conseils, nous avons rédigé, mes amis Philippe Meens (ex PARDEM), Dominique Kern, que je ne remercierai jamais assez, et moi un programme politique, “une vision affirmative du politique” pour reprendre le mot de Badiou, en 41 propositions. Ainsi, avant hier, j’ai posté une des versions de ce programme qui en a déjà une bonne dizaine. Donc nous avons réalisé un travail programmatique important.
Le rassemblement “ Pouvoir au Peuple” n’a pas de dirigeants et c’est volontaire. Pas de place de pouvoir à prendre. Pas de titre à conquérir. Pas d’argent à se faire. Pas de lutte des places misérable et inutile. Naturellement, pas de participation à aucune élection truquée.
En revanche, on réfléchit à l’idée d’associer Alain Badiou dans notre projet : il pourrait être ”Président d’honneur”. Ou bien encore, on pourrait écrire : notre rassemblement se fait “sous le haut patronage intellectuel du philosophe Alain Badiou”. En tout état de cause, il faut trouver une formule pour associer le philosophe Alain Badiou à notre démarche politique, au vu des nombreux emprunts de ses idées que nous effectuons régulièrement ! Ainsi, pas plus tard qu’hier, je postai une petite présentation de son très beau livre :”à la recherche du réel perdu”, édition Fayard, 2015, où il dénonce à juste titre le divertissement des classes moyennes boboïsées : (cocaïne, pédophilie)..
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