Agenda du Chaos : améliorer la "conscience pour soi" de la caste mondialisée !
Article rédigé par Éric Verhaeghe le 8 février 2022, pour le Courrier des stratèges, que m'a fait connaitre mon amie Monika Karbowska que je remercie.
Nous publions aujourd'hui le chapitre de mon livre “l'Agenda du Chaos”, consacré à la première étape de cet agenda, à savoir la syndication de la caste mondialisée. Où l'on découvre que, lorsque l'épidémie de COVID a éclaté, plus d'une trentaine de dirigeants mondiaux était des Young Global Leaders. Comme la vice-présidente de Pfizer. Comme tant d'anciens de Mc Kinsey. Sur les 10 pays les plus vaccinants en Europe, cinq sont dirigés par des Young Global Leaders. Voilà ce qui s'appelle un travail de longue haleine.
Lorsque l’épidémie de COVID a éclaté, au début de 2020, la petite planète Terre connaissait une conjonction astrale particulièrement favorable. Si l’on admet l’hypothèse que son centre géographique se trouve à Davos, alors c’est une sorte de miracle qui est arrivé.
En effet, si nous examinons les pays du monde d’Est en Ouest, le soleil s’est levé ce jour-là sur une Nouvelle-Zélande dont la Premier Ministre, Jacinda Ardern, fut une Young Global Leader.
Comme Ugyen Dorji, le ministre de la Culture au Bouthan.
Comme Muhammad Hammad Azhar, le ministre de l’Energie du Pakistan.
Comme Shauna Aminath, la ministre de l’Environnement des Maldives.
Comme Sarah Al Amiri, ministre de l’Industrie et des Nouvelles Technologies aux Emirats Arabes Unis.
Comme Thani Ahmed Al Zeyoudi, ministre de l’Environnement des mêmes Emirats, devenu au printemps 2020 ministre de l’Economie.
Comme Faisal Alibrahim, alors vice-ministre, mais bientôt ministre des Finances d’Arabie Saoudite.
Comme la Princesse Reema Bandar Al-Saud, ambassadrice d’Arabie Saoudite à Washington.
Comme Virginijus Sinkevicius, commissaire européen à l’Environnement.
Comme Sanna Marin, Premier Ministre en Finlande depuis le mois de décembre 2019. Comme Annika Saarikko, qui allait devenir sa Vice-Premier Ministre, puis sa Ministre des Finances.
Comme Nikki Kerameus, ministre de l’Education en Grèce.
Comme Lea Wermelin, ministre de l’Environnement au Danemark.
Comme Haakon, le prince héritier de la couronne de Norvège.
Comme Annalena Baerbock, présidente des Verts en Allemagne, qui devait devenir ministre des Affaires Etrangères après avoir été pronostiquée Chancelière.
Comme Karien van Gennip, qui devait devenir ministre de l’Education aux Pays-Bas le 10 janvier 2022.
Comme Alexandre De Croo, qui devait devenir Premier Ministre belge en octobre de cette année-là.
Comme Ailish Campbell, qui devait devenir ambassadrice du Canada auprès de l’Union Européenne en novembre 2020.
Comme Emmanuel Macron, Président de la République depuis 2017. Comme Amélie de Montchalin, ministre de la Fonction Publique d’Emmanuel Macron.
Comme Leo Varadkar, qui devait devenir Premier Ministre en Irlande en juin 2020.
Comme Paula Ingabire, ministre de l’Information au Rwanda.
Comme Ronald Lamola, ministre de la Justice en Afrique du Sud.
Comme Vera Daves de Sousa, ministre des Finances en Angola.
Comme Kamissa Camara, ministre de l’Information au Mali.
Comme Kojo Oppong Nkrumah, ministre de l’Information au Ghana.
Comme David Moinina Sengeh, ministre de l’Education au Sierra Leone.
Comme François-Philippe Champagne, ministre des Affaires Etrangères du Canada, devenu ensuite ministre de l’Industrie. Comme Chrystia Freeland, alors Vice-Premier Ministre canadienne, puis ministre des Finances. Comme Karina Gould, ministre canadienne du Développement International, devenue ensuite ministre de l’Enfance.
Comme Peter Buttigieg, qui devait devenir le ministre des Transports de Joe Biden.
Comme Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook.
Comme Eduardo Leite, gouverneur de la province du Rio Grande do Sul, au Brésil.
Comme Martin Guzman, ministre argentin de l’Economie.
Comme Jonathan Malagon, ministre du Logement en Colombie.
Comme Carlos Alvarado Quesada, président du Costa Rica.
Cette longue énumération met de côté de nombreuses personnalités importantes : des députés, des sénateurs, des hauts fonctionnaires, des dirigeants d’entreprise (comme la vice-Présidente de Pfizer), qui sont autant de personnages-clés dans la crise du COVID.
Mais cet ensemble donne déjà une représentation de l’influence acquise par Klaus Schwab, l’auteur du Great Reset et le fondateur du Forum Economique de Davos, dont les Young Global Leaders sont les émules, sur les affaires du monde. On peut dire que le soleil ne se couche jamais sur les Young Global Leaders.
Nous avons retenu ces emblématiques Young Global Leaders, mais nous pourrions tout autant énuméré la longue liste des Young Leaders identifiés de longue date par les Etats-Unis, ou encore plus récemment par la Chine, chacun avec leur propre programme d’influence.
Nous reviendrons plus loin dans ce chapitre sur la portée de ce système de « Young Leaders » que l’Europe est la seule à ne pas pratiquer, sur ses réussites et sur ses limites.
Mais il paraissait assez naturel de commencer ce chapitre sur la syndication par une illustration limpide, évidente, de ce qu’elle signifie : l’extension sans frontière d’une influence où se mélangent intérêts publics et intérêts privés.
Ce qu’on appelle la syndication des élites
Mais il est vrai que, pour comprendre la portée de cette influence, il faut poser le cadre théorique dans laquelle elle a pu se développer aussi vite et aussi largement.
Pour y parvenir, attardons-nous sur la notion de syndication des élites, qui a permis l’émergence d’une caste mondialisée.
Par syndication, nous entendons, au sens anglo-saxon du terme, non l’organisation des élites partisanes de la mondialisation dans un syndicat de défense, comme un syndicat patronal qui obéirait à une logique verticale et à des « motions » en bonne et due forme, mais plutôt leur association sous forme de caste consciente de ses intérêts et capable de s’organiser pour les faire prospérer, notamment pour les diffuser dans tous les lieux de pouvoir qui importent.
Dans cette définition, plusieurs étapes comptent, dont il faut se donner le temps de prendre la mesure.
Tout d’abord, nous parlons d’association, au sens d’une ou de plusieurs structures informelles fondées sur une libre coopération entre les individus.
Le Forum Economique de Davos en constitue une bonne illustration, même s’il est loin d’en être la seule.
Il s’agit d’abord d’une entreprise financée par des clients, bien avant d’être une organisation politique.
Cet aspect échappe très souvent aux détracteurs du Forum Economique de Davos, mais il est pourtant essentiel : si les participants du Forum ne trouvaient pas leur comptant en contrepartie des importantes cotisations qu’ils versent, ils déserteraient le lieu et Davos ne serait plus synonyme de mondialisation ou de nouvel ordre mondial.
De ce point de vue, le chiffre d’affaires du Forum Economique est un bon indicateur des progrès de la mondialisation et de la syndication de ses membres, c’est-à-dire de leur conscientisation comme caste.
Selon le SüdDeutsche Zeitung du 17 janvier 2017, le Forum de Davos est une machine à cash qui atteint les 200 millions € de chiffre d’affaires. La Tribune de Genève du 23 juillet 2018 affirme que le chiffre d’affaires du Forum a triplé depuis 2005.
Ces quelques repères financiers permettent de donner une bonne mesure à l’ampleur prise par la mondialisation, et par le besoin que la caste mondialisée a ressenti de se regrouper face aux différentes menaces qu’elle a identifiées : montée des « populismes », morcellement du monde en entités nationales qui freinent la conquête des marchés, difficulté à dépasser les identités locales.
Pour le Forum de Davos, cette accélération de la mondialisation s’est transformée en espèces sonnantes et trébuchantes, ce qui est un bon indice de l’importance gagnée par l’influence dans un monde où les règles sont de plus en plus concurrencées par la coopération multilatérale.
L’habileté de Klaus Schwab est d’avoir compris que, au tournant des années 2000, la mondialisation entrait dans une phase délicate, poussée d’un côté par des forces positives, demandeuses d’un accroissement de libre circulation des capitaux, et d’un autre côté par des forces négatives de plus en plus hostiles à ce phénomène de circulation capitalistique apatride.
Klaus Schwab a mobilisé le réseau qu’il avait tissé dès les années 70 (le Forum de Davos date de 1969 !) et l’a mis au service de la cause : intensifier le réseautage entre ses membres et les gouvernements en place pour accélérer les transferts de souveraineté vers des instances multilatérales, et développer l’influence de la logique mondialiste auprès des décideurs.
C’est le deuxième aspect qu’il faut souligner : la conscientisation progressive de l’idéologie mondialiste, encore trop diffuse au tournant des années 2000, et l’élaboration patiente d’un « mainstream » donnant un cadre intellectuel acceptable à la mondialisation.
Mettre en réseau ne suffit pas, encore faut-il fournir l’argumentaire pour expliquer à quoi tout cela peut bien servir.
Dans ce travail de légitimation, d’explication, de rationalisation, on trouve la justification fondamentale du Forum de Davos : si des « deals » se nouent en marge des rencontres annuelles organisées par Schwab, le cœur de l’événement consiste bien à fournir les éléments de langage communs que tous les participants reprendront à leur compte pour expliquer partout et à tout instant les bienfaits de la mondialisation.
Profiter, c’est bien, comprendre et diffuser, c’est encore mieux.
D’où ces tables rondes où les bénéficiaires de la mondialisation s’auto-congratulent en échangeant des considérations emplies de bienveillance et d’espoir sur l’avenir de la planète.
Dans ce domaine, rien n’est interdit, et tout est autorisé. Il est de bon ton de répéter qu’il faut sauver l’humanité en faisant tomber les frontières, en rassemblant la grande famille humaine dans les « externalités positives » de la mondialisation, dans ces projets de vaccination, d’alphabétisation, de conseils en tous sens portés par les membres du Forum.
Il suffit de lire les publications quotidiennes sur le site du World Economic Forum pour réenchanter la mondialisation elle-même.
On y trouve toutes les astuces pour combattre le réchauffement climatique, améliorer la santé du monde entier et favoriser une croissance compatible avec les grands équilibres écologiques.
Donc, tous ceux qui seraient accusés d’aimer la mondialisation parce qu’elle les enrichit, peuvent trouver à Davos l’argumentaire pour expliquer que non ! ils aiment la mondialisation parce qu’elle profite à l’espèce humaine… et plus la mondialisation s’imposera, mieux l’espèce humaine vivra.
Autant dire qu’on ne trouve sur le site de Davos aucune allusion aux camps de déportation pour Ouïghours en Chine, ni aucune forme de recul critique sur la violation des libertés dans les démocraties occidentales pour fait de COVID et de vaccination obligatoire, ni aucune allusion aux effets secondaires des vaccins… C’est une sorte de monde des bisounours qui y est décrit, où la mondialisation n’apporte que de bonnes choses, et que du progrès.
Nous reviendrons dans un autre chapitre sur la construction de cette « narration », de ce « story-telling » disait-on il y a dix ans, où la mondialisation est heureuse et sans nuance.
Ce qui nous intéresse ici, c’est la destination de cette construction illusoire.
L’objectif n’est pas de comprendre la réalité du monde contemporain, mais de permettre aux adhérents du Forum de situer leur cupidité dans un cadre culturel, intellectuel, idéologique, de la justifier au fond, dans des termes acceptables en « société ».
Symboliquement, il s’agit de tisser un lien, de « faire caste » comme les journalistes aiment à dire à propos du peuple ou de la nation. On se donne une conscience, une compréhension commune de notre action pour mieux ressentir le lien qui nous unit dans le combat.
De la classe à la caste
Le moment est venu de souligner un point théorique majeur, indispensable à la compréhension de l’Agenda du Chaos : la constitution d’une caste mondialisée et sa signification exacte.
Très longtemps, le discours sociologique ou politique a été dominé par la notion de classe sociale, propagée et théorisée par Karl Marx.
La classe sociale se définit objectivement, c’est-à-dire indépendamment de la volonté de ses membres.
Ainsi, selon Marx, le propriétaire des moyens de production est un capitaliste, et le salarié est un aliéné, dans la mesure où il loue sa force de travail à un propriétaire qui en retire des profits.
Dans cette définition, ni le capitaliste ni le salarié n’ont le choix de leur statut : il est défini objectivement par leur rapport aux moyens de production.
La caste est un concept de nature différente, car l’appartenance en est subjective et non objective : on peut appartenir à une classe sociale sans le savoir, on n’appartient pas à une caste à son insu.
La caste, c’est le groupe de ceux qui choisissent positivement d’en faire partie, d’en épouser les thèses, d’en défendre les opinions et les intérêts. Au fond, la caste, c’est le groupe des gens qui adhèrent volontairement à une vision du monde, à des valeurs, à un code de comportement et de pensée, à un mode de vie.
Cette dimension de choix positif est centrale.
Elle explique la puissance de la vague « enfermiste », puis « vacciniste », puis « génocidaire » qui a submergé les démocraties libérales dès le début de l’épidémie.
Cette vague a en effet mobilisé des gens de niveaux sociaux très différents : des ministres, des députés, des sénateurs, des hauts fonctionnaires, des médecins, des juges, mais aussi des scribouillards, de petits bureaucrates, parfois des patrons de bar, de restaurants, des journalistes ou des consultants de second ordre, qui sont tous devenus des acteurs au quotidien d’une pièce écrite ailleurs.
Beaucoup se sont sentis pousser des ailes pour, in fine, faire gagner des milliards à Pfizer, à Moderna, à Mc Kinsey, dont les bénéficiaires ultimes ont pour nom Black Rock ou Vanguard.
Chaque fois qu’ils l’ont pu, ceux-là ont spontanément porté le masque, rationné leurs contacts sociaux, reçu des doses de vaccin, évité les visites dans les maisons de retraite, dénoncé les « asociaux », les « irresponsables » qui menaçaient de contaminer les autres ou n’obéissaient pas avec assez de zèle au gouvernement.
Pour faire simple et court, la financiarisation de l’épidémie, qui s’est révélée juteuse pour le capital mondialisé, s’est appuyée sur l’action volontaire, délibérée, d’une multitude de gens qui « y ont cru », parfois (mais pas toujours) sans gagner le moindre kopeck dans cette opération.
Afin de donner un aperçu très parcellaire et modeste de cet événement inédit, la Banque de France a répété à l’envi que les Français avaient dégagé, dans l’année du confinement, près de 200 milliards d’épargne supplémentaire, dont les plus riches ont été les premiers bénéficiaires. Les actifs financiers ont bondi de ce fait, et la bourse a fortement progressé tout au long de l’année 2020, après le choc du mois de mars, puis tout au long de 2021.
En mars 2021, le CAC 40 dépassait les 6.000 points, c’est-à-dire son plus haut point d’avant le confinement. En novembre 2021, il dépassait les 7.000 points.
Autrement dit, et contrairement à toutes les attentes rationnelles, la crise a enrichi une multitude de gens dont beaucoup (mais pas seulement eux) sont devenus, durant cette période, des ayatollahs du vaccin et du passe sanitaire.
Entre le juge administratif et le conseiller d’Etat, qui n’a pas eu de scrupule à autoriser la violation flagrante de la liberté d’aller et venir au nom du COVID, et l’épargnant qui a confié ses actifs à un fonds pour lequel la hausse de la bourse a été une aubaine, c’est tout un écosystème qui a vu le jour, pour qui la mondialisation était le nord de la boussole.
C’est cela, la caste.
Des employés de bureau, des gestionnaires de fonds, des hauts fonctionnaires, des juges, des élus, des médecins qui, chacun pour leur partie, ont ressenti une appartenance commune à un monde fondé sur le confinement, le vaccin, l’ostracisme à l’encontre des opposants.
Tout ce petit univers avait souvent des niveaux de vie, des intérêts sociaux, des modes d’existence, extrêmement différents, même si ce monde a rassemblé d’abord les éléments de ce que les marxistes ont appelé à une époque la « bourgeoisie ».
Mais leur trait d’union ne tenait pas tant à leur conscience bourgeoise, qu’à leur conviction que l’épidémie était mondiale, et que seule une réponse coordonnée mondialement permettrait de la vaincre.
Dans cette caste, se sont révélés, conscientisés, des gens qui jusque-là croyaient au progrès humain par la science, comme des gens convaincus que la France ne peut plus exister en dehors de l’Europe.
On a croisé, dans les rangs de cette caste, le capitaliste obnubilé par le cours de la bourse, le médecin trotskyste convaincu que le vaccin est un progrès, l’instituteur effrayé à l’idée de mourir jeune et dans la désobéissance vis-à-vis de son administration. Tous ceux-là ont, comme un seul homme, cru à la parole officielle et y ont obéi sans broncher.
Une vision platonicienne de la société
Tout ce petit monde ne s’est pas retrouvé par hasard ni sans préparation idéologique inconsciente très ancienne.
La grande habileté de la caste mondialisée, et surtout de ses gourous comme Klaus Schwab, a consisté à activer, dans l’angoisse de la mort causée par le virus, et dans le choc de la crise sanitaire, la grande pulsion historique de notre société : le repli sur le scénario historique, pour ainsi dire atavique, de l’élite conduisant le monde.
C’est en effet une sorte de réflexe large, dans les sociétés humaines, que d’en remettre son destin à une élite éclairée, en cas de problème vécu comme mettant en cause la survie du groupe.
Dès lors qu’une crise survient, on abandonne son libre arbitre, et l’on fait « confiance » aveuglément, en abandonnant son esprit critique, aux chefs compétents, ceux qui sont supposés capables nous sortir de l’ornière.
Ce mécanisme est vieux comme le monde, et sa théorisation philosophique a plus de 2.500 ans.
Il revient à Platon le mérite de l’avoir formalisée dans sa République, enseignée dans toutes les institutions scolaires destinées à l’élite, et source d’inspiration intarissable pour la caste mondialisée.
Ici, le lecteur doit prendre le temps d’une compréhension théorique, car l’affaire ne manque pas d’ironie.
Le meilleur ouvrage pour comprendre les dégâts causés par la République de Platon dans l’esprit démocratique de l’Occident est probablement La société ouverte de Karl Popper, traité rédigé en 1943, publié en 1945, où le philosophe autrichien montre comment la pensée platonicienne a justifié philosophiquement un autoritarisme politique exercé sans état d’âme par les élites.
Ce qu’on a appelé la démocratie s’est largement construit sur cette conviction qu’une société bien ordonnée est éclairée par sa classe supérieure, investie du pouvoir de commander et de légiférer, sans véritable partage avec le peuple (en dehors d’un droit de vote périodique, déjà dénoncé par Rousseau au dix-huitième siècle à propos de l’Angleterre).
L’ironie tient au fait que les admirateurs de Popper sont par exemple George Soros, fondateur de l’Open Society Foundation, dont le nom est directement inspiré par l’ouvrage du maître autrichien, mais dont les réalisations expriment parfaitement tout ce que Popper dénonçait.
Car l’esprit de la mondialisation est tout entier imprégné d’une méfiance pour les peuples et pour le suffrage universel, tel que Platon l’a ressentie et exprimée à sa manière dans son œuvre.
Le peuple, c’est la bassesse, l’ignorance, la barbarie, la part animale en chaque homme exaltée en principe de vie.
Le Brexit comme l’élection de Trump l’ont prouvé à ceux qui en cherchaient encore la preuve.
L’élite, c’est la tête, la raison, la pensée, la mesure, la prudence aurait dit Saint-Thomas d’Aquin.
Dans son ambition folle de dominer le monde, la caste ne met pas en avant sa cupidité, mais sa supériorité intellectuelle, son sens de la raison et de la mesure, son éducation, à rebours des pierres brutes, excessives, obscures, qui composent le paysage du populisme et du nationalisme.
Sur tous ces points, Platon fournit une caution philosophique, lui pour qui la société politique était comme le corps humain : il fallait en confier la conduite au cerveau, c’est-à-dire à l’élite intellectuelle, et réserver les muscles (les producteurs, les artisans) à l’exercice des basses œuvres.
Ce paradigme platonicien de l’Etat et de la société guide fondamentalement la lecture mondialiste de la société.
On se souvient par exemple que le fils du philosophe André Glucksmann, Raphaël, devenu député européen de gauche, avait prononcé cette phrase de légende en octobre 2018 : « Quand je vais à New-York ou à Berlin, je me sens plus chez moi culturellement, que quand je me rends en Picardie. Et c’est bien ça le problème. »
Voilà le discours de l’élite : « culturellement », les pieds du Picard dans la glaise lui inspirent un mépris, un malaise profond. Ce que le mondialiste, de droite comme de gauche, aime par-dessus tout, c’est la culture éclectique, cosmopolite, qui se conjugue à New-York ou à Berlin, dans les quartiers « hype ». En revanche, le paysan du coin est un repoussoir.
La gestion mondialisée du COVID 19 ne s’est pas appuyée sur un autre réflexe : le pauvre des faubourgs fait horreur, c’est un ignare, un obscur, un sans-grade, un « rien », mais le riche mondialisé de l’autre côté de l’océan fascine et impose le respect.
Le paysan, le banlieusard, est dangereux, et probablement contaminé par le virus. Seul le mondialisé, celui qui croit au progrès par le vaccin, doit avoir le droit de s’exprimer.
Que n’avons-nous, d’ailleurs, entendu comme appels, dans les beaux quartiers, à censurer les « fake news », les « théories du complot » mettant en doute l’efficacité des masques, du confinement, du vaccin, et du gouvernement lui-même ?
Et combien de fois n’avons-nous pas entendu, durant l’épidémie, cette phrase comme un mantra : « si tous les gouvernements du monde mettent en place un passe sanitaire, c’est bien la preuve que c’est une méthode efficace ». Tant de gens intelligents ne peuvent se tromper en même temps.
Bien entendu, tous ceux qui ont soutenu pendant deux ans que les « gouvernements » ne peuvent pas tous se tromper en même temps, ont oublié de mentionner qu’il y a six cents ans, tous les gouvernements du monde soutenaient que la terre était plate et qu’on brûlait allègrement tous les populistes et les complotistes qui soutenaient le contraire.
Bref, la caste mondialisée s’est fondue sans vergogne dans le lit de l’élitisme platonicien selon lequel une société bien gouvernée est une société gouvernée par ses élites. Et l’ironie de l’histoire est que ce réflexe fut dénoncé en son temps par les inspirateurs de la mondialisation, comme Karl Popper. Mais qu’importe : les vieux réflexes séculaires sont revenus, et face à l’incertitude des temps, les élites nous sauveront.
Une offre pléthorique de syndication
La conviction que le salut de la planète passe par la domination d’une caste éclairée, éduquée, n’est pas nouvelle. La conviction que cette caste éclairée est forcément internationaliste, polyglotte, amoureuse du progrès scientifique et partisane d’une gouvernance mondiale, a largement émergé à la sortie de la deuxième guerre mondiale.
Mais c’est au tournant des années 70 que la confiance dans la coopération entre les peuples, occidentaux d’abord, puis mondiaux, est devenue un dogme.
Sans surprise, les offres de syndication, transatlantiques d’abord, beaucoup plus larges ensuite, ont commencé à fleurir à partir des ces années encore dorées.
Dès 1954, la conférence de Bilderberg se réunit chaque année pour assurer le dialogue entre élites européennes et élites américaines.
À partir de 1973, c’est la Trilatérale qui se réunit, intégrant le Japon.
Ces espaces de dialogue discret préfigurent la manie qu’aura par la suite la « société civile » de se rencontrer pour discuter des affaires du monde.
Dans la patchwork qui commence à se constituer, le Forum de Davos prend peu à peu son envol. Mais il n’invente rien, en soi. Simplement, il est plus ouvert, et plus poreux à l’influence communiste chinoise au fur et à mesure que la Chine réveille ses ambitions de conquête.
En 1981, les Etats-Unis lancent leur programme de Young Leaders, que Davos concurrence à partir de 2004 (mais qu’il industrialise dans les années 2010), et que la Chine concurrence à partir de 2013.
Mais, en réalité, cette idée qu’il faut diffuser la mondialisation comme un comportement spontané irrigue rapidement toute la société occidentale. Elle se trouve par exemple au cœur du programme Erasmus qui favorise les échanges européens d’étudiants.
Soudain, il devient inéluctable qu’un étudiant fasse forcément une partie de ses études hors de son pays pour pouvoir se targuer de détenir un diplôme de qualité.
Il revient à l’allié américain d’avoir le premier compris la puissance politique de ces échanges, puissance à long terme, mais qui crée un extraordinaire creuset pour les générations émergentes, toutes tendanciellement unies par le sentiment d’appartenir à une grande entité anthropologique sans frontière intérieure, si l’on se fie au politiquement correct qui commence à prendre forme.
Donc, lorsque Klaus Schwab lance les Young Global Leaders, il est loin d’inventer une formule, il est loin d’être le seul à la défendre, et il est loin d’être le meilleur.
Mais il a une force : il ne le fait pas dans l’intérêt d’un Etat, mais par amour de la mondialisation elle-même.
Les valeurs des Young Global Leaders
De façon emblématique, les valeurs (publiques, transparentes) affichées par les Young Global Leaders sur leur site dédié valent mieux que n’importe quelle étude universitaire sur le sujet.
Le site de Klaus Schwab dit tout.
Par exemple, le « pitch » (le résumé publicitaire) du programme dit ceci :
« The Forum of Young Global Leaders accelerates the impact of a diverse community of responsible leaders across borders and sectors to shape a more inclusive and sustainable future. » (Le Forum des Jeunes Leaders Mondiaux accélère l’influence d’un large communauté de dirigeants par-delà les frontières et les secteurs d’activité pour créer un futur plus durable et plus inclusif).
Que ces mots en disent long sur la visée finale de ce programme.
Il repose tout entier sur la notion d’influence (« impact » en anglais). L’influence, c’est le contraire de la règle. L’influence ne repose sur aucune formalisation, aucun ordre explicite, aucune construction visible. C’est le monde de l’informel, de l’échange spontané et, au fond, du mimétisme et de la connivence.
L’objectif du programme des Young Global Leaders n’est pas de créer une caste mondialisée, mais de « l’accélérer » et d’en approfondir l’efficacité.
Le pitch est clair : le Forum facilite les échanges entre élites des différentes nations qui participent au programme. Et cette facilitation ne vise pas à rassembler les nationalistes et les populistes. Elle ne s’adresse qu’aux partisans d’un monde « plus inclusif » et « plus durable ».
Là encore, les expressions sont essentielles pour comprendre la véritable nature de la mondialisation rêvée par Schwab.
Un monde plus inclusif est évidemment un monde où les frontières n’ont plus de sens. C’est, comme le prône George Soros, un monde de la libre circulation des personnes, mais surtout de la libre circulation du Sud vers le Nord.
Un monde plus durable est un monde où la transition écologique constitue le maître mot de toute action politique internationale.
On retrouve ici à la fois les thèmes préférés de la gauche bien-pensante, qui sont aussi ceux de l’élite mondialiste, mais aussi les thèmes préférés des gouvernements « infiltrés » par les Young Global Leaders à travers le monde. Et le thème de prédilection des relations internationales en Occident aujourd’hui.
Mais il existe surtout une dimension qui nous semble essentielle dans la présentation simplifiée du programme des Young Leaders de Davos : l’influence « au-delà des secteurs », que nous pourrions appeler la connivence entre secteur public et secteur privé.
Klaus Schwab ne s’en cache pas : « The Forum of Young Global Leaders accelerates solutions to global challenges through new models of public-private cooperation », écrit-il sur la page du site dédiée à l’influence (Le Forum accélère les solutions aux défis mondiaux à travers de nouveaux modèles de coopération public-privé).
Le vers du fruit émerge : l’objectif de Davos est bien de forger cette connivence entre gouvernants, fonctionnaires, investisseurs, financiers, pour élaborer des solutions mondiales où l’argent du contribuable sert à acheter des produits toujours plus profitables.
On ne pouvait donner une meilleure définition du capitalisme de connivence qui fourbit ses armes à l’ombre de Davos : les « nouveaux modèles de coopération public-privé » sont évidemment ceux d’une forme de corruption par l’influence, où l’intervention des acteurs privés dans les marchés publics, au nom de l’intérêt général, bien entendu, est l’occasion de passer des marchés juteux avec des dirigeants rencontrés dans les coulisses du Forum.
L’exemple de Mc Kinsey et du COVID
De cette collusion, de ces jeux dangereux, la gestion du COVID a donné de nombreux exemples.
L’un des plus récents en date est celui de l’intervention du cabinet Mc Kinsey en France, comme dans de nombreux autres pays, en faveur du passe sanitaire, puis vaccinal, qui a accéléré le processus de vaccination partout où cela était possible.
Cette intervention pour ainsi dire « mondiale » est-elle le fruit du hasard, ou s’est-elle appuyée sur le travail préalable de préparation effectué notamment par Klaus Schwab ?
La question est ouverte, mais de nombreux indices laissent à penser que « l’influence » chère à Klaus Schwab a beaucoup compté dans la réussite de cette généralisation des méthodes liberticides proches du crédit social à la chinoise.
On relèvera par exemple que de nombreux partenaires de Mc Kinsey, notamment aux Etats-Unis, ont participé au programme des Young Leaders, comme Emmanuel Macron ou Alexander de Croo.
Il serait erroné de croire que les Young Global Leaders ont été le seul canal de diffusion de ces politiques. La Commission Européenne ou encore des Etats européens comme l’Italie, moins imprégnés par l’esprit de Davos, ont activement participé à cette doctrine et à sa mise en œuvre.
En revanche, il est acquis que le Forum de Davos est l’un des canaux privilégiés pour assurer la circulation de l’influence mondialiste, pour « l’accélérer » comme dit Schwab. De façon révélatrice, parmi les 10 pays européens où la vaccination atteint les taux plus élevés, on trouve la France, le Danemark, l’Irlande, la Finlande, la Belgique, la Norvège, où les Young Leaders jouent un rôle important.
On peut donc conclure que la mondialisation a bénéficié de puissants accélérateurs depuis une vingtaine d’années, dont certains (mais pas tous) tiennent à l’influence de programme à long terme comme celui des Young Global Leaders.
Nous disposons là d’un exemple vivant qui permet de déduire que la constitution d’une caste mondialisée fut un travail préparatoire salutaire pour rendre possible l’Agenda du Chaos.
Reste à comprendre les autres modes opératoires qui ont permis sa progression rapide.