« Le Pen à l’Elysée, l’hypothèse devient crédible » : la campagne présidentielle vue par la presse étrangère !
Article rédigé par Marie Slavicek pour Le Monde daté du 8 avril 2022
Plusieurs titres de presse internationaux soulignent l’érosion des intentions de vote en faveur d’Emmanuel Macron et affirment que rien n’est joué pour le président sortant face à la candidate du Rassemblement national.
« Et si Macron perdait l’élection présidentielle ? », interroge Le Soir. Pour le président sortant, ça devait être « du tout cuit », mais, « imperceptiblement, le vent a tourné », note le quotidien belge, mardi 5 avril, en évoquant la percée de Marine Le Pen.
Selon la neuvième vague de l’enquête réalisée par Ipsos-Sopra Steria avec le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès pour Le Monde, l’écart entre Emmanuel Macron et la candidate du Rassemblement national (RN) continue de se resserrer. Au premier tour, ils sont crédités respectivement de 26,5 % et de 21,5 % des intentions de vote. Le président candidat connaît une érosion des intentions de vote en sa faveur (− 4 points en un mois) quand, sur la même période, la prétendante d’extrême droite gagne 7 points. Au second tour, en cas de duel Macron-Le Pen, la candidate du RN obtiendrait 46 % des suffrages (+ 3 points).
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Dans l’histoire de la Ve République, plusieurs candidats qui apparaissaient en tête dans les sondages ont raté l’épreuve des urnes, souligne Le Soir. En 1981, « comme prévu, [Valéry Giscard d’Estaing] arriva en tête du premier tour (…). Pourtant, le 10 mai, François Mitterrand l’emporta avec 51,76 % » des voix. Edouard Balladur en 1995 et Lionel Jospin en 2002 avaient, eux aussi, de bonnes raisons de croire que leur heure était arrivée, rappelle encore le journal. Ils arrivèrent finalement en troisième position.
« Le Pen à l’Elysée, l’hypothèse devient crédible » et « il serait imprudent de l’exclure d’un revers de la main », estime Dorian de Meeûs, rédacteur en chef de La Libre Belgique. « Le pouvoir d’achat tétanise les citoyens. Le Pen l’a compris et en fait son cheval de bataille », écrit-il dans son éditorial publié samedi 2 avril. La candidate d’extrême droite « lisse son message et édulcore son programme. Son nom, et l’héritage politique qu’il incarne, ne semble plus représenter un obstacle en soi. La campagne anxiogène, monothématique et caricaturale d’Eric Zemmour est une aubaine pour Marine Le Pen, au point de la rendre “présidentiable” aux yeux des électeurs », ajoute-t-il.
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« Une campagne électorale terne »
« Les sondages montrent que, si la société a autrefois considéré [Marine Le Pen] comme le “diable” de la République, la perception du public à son égard s’est adoucie », abonde The Guardian, dans un article daté du lundi 4 avril. La candidate d’extrême droite a également su faire oublier sa proximité avec le président russe, Vladimir Poutine, en se focalisant sur le pouvoir d’achat, analyse le quotidien britannique.
The Guardian souligne qu’il s’agit de la campagne présidentielle « la plus marquée par l’extrême droite de l’histoire moderne de la France » : avec plus de 33 % des intentions de vote, l’extrême droite est, de loin, la famille politique la plus forte du pays. Le journal évoque notamment le discours « incendiaire » d’Eric Zemmour qui a « ancré la théorie complotiste du “grand remplacement” ». « Au lieu de nuire à Le Pen, Zemmour l’a renforcée » car sa radicalité a contribué à donner une image moins extrême de la candidate du RN.
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Le Financial Times ne manque pas non plus d’insister sur « la marge beaucoup plus étroite » dont bénéficierait Emmanuel Macron face à Marine Le Pen par rapport à l’élection de 2017. Ces derniers jours, « une campagne électorale terne, assombrie par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, a été électrisée par les espoirs de l’extrême droite », peut-on lire dans un article du quotidien britannique publié mardi 5 avril. « La France pourrait devenir la prochaine démocratie occidentale à tomber sous l’emprise d’un dirigeant populiste sceptique à l’égard de l’OTAN et de l’UE, protectionniste sur le plan économique et favorable à un contrôle strict des migrants non européens », écrit le journal économique et financier, qui ajoute : « Même si Le Pen perd, il est probable qu’elle réalise la meilleure performance pour son parti d’extrême droite depuis que son père, Jean-Marie Le Pen, a fondé le Front national (…) en 1972. »
Pour The New York Times, la guerre en Ukraine et les tentatives de médiation d’Emmanuel Macron ont fortement contribué à son décrochage dans les sondages. La thématique, explique le journal américain, est trop éloignée des préoccupations quotidiennes des Français. « L’idée que Le Pen gagne n’est pas impossible », ce qui « aurait semblé ridicule il y a un mois », ajoute le quotidien dans cet article daté du lundi 4 avril. Marine Le Pen, alors devancée par Eric Zemmour, « avait l’air has been après avoir échoué en 2012 et 2017 ». « En devenant le candidat de la xénophobie pure et simple, [Eric Zemmour] a aidé la candidate du Rassemblement national dans sa quête de “banalisation”. »
« Le scénario le plus inquiétant pour M. Macron est que le vote de M. Zemmour se reporte sur Mme Le Pen au second tour, et que celle-ci soit encore renforcée par la large section de la gauche qui se sent trahie ou qui est simplement viscéralement hostile au président, ainsi que par certains électeurs de la droite et du centre pour qui l’immigration est une question centrale », analyse également The New York Times.
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« Explosion de la droite française »
Le journal espagnol El Pais se fait lui aussi l’écho, jeudi 31 mars, du « vent d’optimisme » qui souffle sur la campagne de la candidate du RN. « Avant que Zemmour entre en campagne, on donnait pour acquis que le duel de 2017 se reproduirait en 2022 : Macron contre Le Pen. Tout a changé en quelques semaines. Avec ses coups d’éclat rhétoriques, son érudition de pilier de bar et ses tirades contre les musulmans et les étrangers qui l’ont conduit plusieurs fois devant les tribunaux, l’animateur de talk-show a déstabilisé la cheffe du RN. Et a bouleversé les prévisions », rappelle le quotidien. Mais, « comme souvent au cours de sa carrière, Marine Le Pen a été écartée prématurément », ajoute El Pais, qui revient ensuite sur l’entreprise de « dédiabolisation » de la candidate. Puis, comme de nombreux titres de presse, le journal espagnol explique qu’Eric Zemmour a permis à Marine Le Pen « d’apparaître plus modérée, alors que leurs idées sur l’immigration ne sont pas si différentes ».
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Autre élément saillant de cette campagne, selon Le Temps, « l’explosion de la droite française ». Dans un article publié dimanche 3 avril, le quotidien suisse affirme que « les coups de boutoir portés par Eric Zemmour ont bel et bien fracturé Les Républicains ». La candidate de la droite, Valérie Pécresse, n’est pas parvenue à imposer « son mot d’ordre d’assainissement à la hussarde des finances publiques ».
« Plus grave : la droite populaire et rurale (…) n’a pas rallié le panache de la présidente de la région Ile-de-France. C’est vers Marine Le Pen, en grande forme durant cette fin de campagne, que cet électorat semble vouloir se tourner », ajoute le journal suisse, avant de lancer cet avertissement : « Le 10 avril pourrait bien être (…) le jour où le cordon sanitaire entre droite et extrême droite s’est brutalement rompu. Le jour où Eric Zemmour, même s’il rate son pari du second tour, aura réussi à imposer son agenda et sa personne. »
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Marie Slavicek